Nos anciens alliés

Cet article fait suite au précédent sur le stigmate de magicien. Sur le même sujet un ami a écrit Nous existons encore.

J’aimerai parler d’une chose qui m’est particulièrement douloureuse : le fait que nos compagnons de galère et alliés historiques participent maintenant à nous faire disparaître. Je veux parler des Minorités de Genre et d’Orientation, qu’on appelle communément LGBTQ+, et que j’appellerai MGO pour faire court.

(Lorsque je parle de minorités je parle de minorités par rapport à une période donnée. Par exemple dans la Rome Antique la sexualité entre hommes faisait partie de la norme, mais pas celle entre femmes.)

Auparavant nos situations étaient à peut près liées. Généralement les sociétés qui acceptaient les magicien-nes acceptaient aussi les MGO. Celles qui persécutaient les magicien-nes persécutaient aussi les personnes MGO. La plupart du temps la situation était entre les deux : certains types de magicien-nes acceptés et d’autres réprimés, certains types d’orientations et genres acceptés et d’autres réprimés.

Et lorsque répression il y avait, les accusations étaient les mêmes. Lors de l’Inquisition par exemple les deux étaient accusés de détruire la société et d’avoir acquis leurs habitudes et capacités auprès du Diable.

De plus, il me semble, d’après mes observations personnelles, que les personnes MGO sont sur-représentées parmi les magicien-nes et vice versa. Je suis moi-même dans les deux groupes, même si je parle ici en tant que magicienne. Bref nous sommes depuis longtemps liés.

Hors depuis la Révolution Industrielle nous vivons de plus en plus dans un monde athée. Un monde tellement athée que même les religions le sont devenues. Aujourd’hui la plupart des chrétien-es ne croient plus qu’en un vague « Dieu » lointain et impalpable qui a affablement regardé le Big Bang, croient que Jésus était un homme fou mais génial, que Marie n’était pas vierge et que les anges et démons sont des métaphores. Et quand iels croient encore sérieusement aux aspects les plus surnaturels de leur propre religion iels s’abstiennent bien de le dire en public. Aujourd’hui ce qui maintient la plupart des religions ce sont avant tout des morales, des croyances sur comment bien vivre pour mériter un paradis impalpable et compatible avec les lois connues de la physique.

Dans ce monde sans magie donc, les magicien-nes n’ont plus de place. Même plus en tant qu’ennemis publiques. On est sensé-es ne pas exister. Donc lorsque l’on croit l’être on est psychiatrisé-es, sommé-es d’arrêter de mentir, ou au minimum sanctionné-es socialement. Exister en se disant clairement magicien-ne, sorcièr-e ou chamane est extrêmement difficile. La plupart font des formations pour pouvoir se présenter comme « praticien-ne de Reiki », géobiologiste ou autre et ne parlent qu’en privé de tout ce qui déborde du cadre qu’iels ont choisi.

Moi-même je m’assume comme chamane. Et pourtant… Il m’arrive souvent de cacher à quel point je pratique le chamanisme. De mentir, d’euphémiser, de parler de psychologie, de symbolisme, de système nerveux et de méditation pour donner un vernis socialement acceptable à ce que je fais, pour être acceptée comme une personne intelligente et sensée. Alors que la réalité c’est que les histoires de psychologie et de système nerveux j’y pense parfois lorsque je ne pratique pas, lorsque je me demande si un jour la science arrivera à expliquer ce que je fais. Mais lorsque je pratique je manipule des énergies du creux de mes mains, je bouge des « muscles dans ma tête » pour « ancrer » des sorts, je discute avec des entités diverses, je voyage dans d’autres dimensions… Je ne m’embarrasse pas de questions scientifiques : je fais ce que je sais faire et j’apprends autant que possible à toujours faire mieux.

Mais voilà. Même moi aujourd’hui il m’arrive de cacher ma magie et de lui mettre des masques. C’est dire comme le monde est athée. C’est dire comme la magie est cachée.

Et donc pour en revenir aux MGO : iels sont au contraire de plus en plus visibles (et tant mieux !) et luttent pour ne plus être opprimé-es (ce que je souhaite). Le problème est que ça passe parfois par nous utiliser, et se faisant par nous faire disparaître d’autant plus.

Aujourd’hui, se rappelant de notre passé commun mais sans plus croire à notre existence, les MGO athées pensent que c’était iels les sorcières. Il circule par exemple des idées comme quoi les prêtresses d’Ishtar (et d’autres) étaient choisies parce qu’elles étaient trans, et que donc une personne trans athée peut se dire prêtresse d’Ishtar… Mais non ! Les prêtresses d’Ishtar étaient des magiciennes qui suivaient un entraînement et des initiations rigoureuses pendant de longues années ! Certaines étaient trans, pas toutes. Pour devenir une vraie prêtresse (et ne pas rester servante) d’Ishtar il fallait avant tout faire montre de capacités magiques et de fidélité à la déesse, trans ou pas trans.

Mais c’est un exemple classique d’un phénomène courant. Comme on ne croit plus à la magie, on cherche ailleurs le point commun des gens qui de tout temps ont été connus pour la pratiquer. Était-ce une question de maladie mentale? De liberté sexuelle? D’activisme politique? De MGO? On élude le fait que, à notre époque comme par le passé, dans les sociétés qui reconnaissent les magicien-nes on reconnaît aussi l’existence de toutes ces personnes, sans forcément en faire des magicien-nes.

Les athées MGO comme les autres athées pensent que nous n’avons jamais existés, que ciels d’entre nous qui se disent magicien-nes actuellement ne font que jouer la comédie ou ont des problèmes psychiatriques. Et donc iels se sentent totalement légitimes à utiliser nos titres, s’approprier notre histoire, modifier notre culture… Je ne compte plus le nombre de festivals, magazines ou événements queer et/ou féministes qui contiennent les mots « chamane » ou « sorcière » dans leur titre. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis emballée au titre d’un livre avant de déchanter très vite en l’ouvrant.

Pour faire comprendre ce que c’est que de grandir comme jeune magicienne dans ce contexte je vais faire une métaphore. Imaginons simplement que la situation soit inversée.

Le lesbianisme c’est quelque chose de très antipatriarcale, de difficile et courageux à assumer. Mettons que je suis féministe, je fais des choix antipatriarcaux et difficiles à assumer.

Du coup on va dire que je suis lesbienne. Et puis après tout au fond les lesbiennes elles font semblant non? C’est pas comme si une femme pouvait vraiment aimer les femmes. Ça n’existe pas ces choses là. Tout le monde le sait.
Donc je suis totalement légitime à me dire lesbienne. Et puis je vais imprimer des tshirt « lesbienne dans la place » pour mes amies et moi, et faire un festival artistique lesbien où on fera des trucs féministes et fera un peu semblant de faire des trucs lesbiens pour l’ambiance.

Et puis je vais écrire des livres sur l’histoire du lesbianisme, ce mouvement social féministe, et puis éditer un magasine avec lesbienne dans le titre où on interviewra plein de femmes féministes.

On invitera de temps en temps une lesbienne qui prétend être attirée par les femmes mais on précisera bien que c’est que son opinion personnelle, que le lesbianisme c’est avant tout métaphorique, et qu’elle est là en tant que féministe avant tout. Que c’est pas comme si on croyait vraiment à l’attirance entre femmes, c’est juste pour faire chier le patriarcat tout ça.

Et puis c’est pas comme si des jeunes filles un peu perdues sur leur orientation risquaient d’être absolument paumées en fouillant les bibliothèques et internet à la recherche d’infos sur le lesbianisme et tombant avant tout sur des trucs qui n’ont rien à voire. Vu que les lesbiennes ça existe pas, c’est une métaphore, une lutte sociale. En fait si une jeune fille croit être lesbienne heureusement que y’aura des vrais infos fiables sur le féminisme et pas des légendes urbaines d’attirance entre femme dans les bouquins et sur internet. Si elles ont vraiment envie de se monter la tête avec des histoires de « vrai » lesbianisme y’a toujours les romans. Et puis si elles sont tellement paumées qu’elles tombent malade c’est bien la preuve qu’au fond elles étaient malades, pas attirées par le même sexe.

Voilà.

Si cette métaphore paraît disproportionnée j’aimerai juste vous demander pourquoi l’attirance sexuelle et romantique serait plus fondamentalement constitutive de l’identité que la magie. D’après quels critères on décide qu’un truc qui touche à notre identité personnelle et sociale et peut mener à des discriminations voir condamnations est important alors qu’un autre est un détail.

Bref la magie dans notre monde est censée ne pas exister. Ce qu’on endure est justifié facilement par le fait qu’on a qu’à enlever notre masque, arrêter de mentir, agir enfin normalement, et on arrêtera de souffrir.

Et une de mes grandes douleurs est que des personnes qui s’entendent encore souvent dire la même chose participent à nous effacer. Portent nos titres et se voient seuls dans notre histoire commune.

On me rétorque souvent que c’est normal, c’est légitime comme appropriation, car après tout la culture mainstream a lié les femmes libres à la sorcellerie.

Alors cette excuse est aussi logique que se dire Amérindien-ne et s’approprier leur génocide parce qu’on s’identifierait au personnage de Pocahantas de Disney. Nous ne sommes pas des personnages Disney.

Je pense avoir fait le tour de ce que j’avais à dire sur le sujet, en tous cas pour l’instant.

Bonne soirée.

Le stigmate de Magicien

Cet article est un peu particulier, il s’agit d’une réaction à une accumulation de choses ces derniers mois. Notamment cette mode pour de nombreuses femmes de s’appeler « sorcières » souvent sans croire une seconde à la magie, voir en méprisant ciels qui y croient.

Je me dévoile un peu dans cet article mais j’avais besoin d’exprimer mes émotions sans cacher d’où elles viennent. J’espère qu’il pourra aider certaines personnes qui luttent contre le stigmate de magicien. Sachez que vous n’êtes pas seul-es.

Je supporte plus de voir des femmes athées qui se disent sorcières. Parce que « les sorcières en fait c’était juste des féministes tu vois, elles étaient juste trop libres ».
Des femmes athées qui voient pas de problème à dire que la magie n’existe pas et que les magiciens sont des charlatans tout en se disant sorcière parce que ça sonne cool et féministe.

Mon coming out le plus dur ça a pas été ceux de genre ou d’orientation, ça a été celui de magicienne. C’est là que je suis morte socialement pour ma famille, et que pas mal d’anciens ami-es ont rompu.

Déjà depuis mon enfance on a tenté de m’empêcher de l’être. Dit de prétendre que je voyais pas de fantômes, de prétendre que je parlais pas aux arbres, d’arrêter d’avoir « l’air folle » et de « faire honte » et de prendre gentiment mes médicaments. J’ai essayé pendant des années, j’ai essayé d’être normale. Je lisais science et vie, j’étais tout à fait au courant que ce que je vivais n’avait aucune explication scientifique. Quand de l’extérieur on entends parler de trucs magiques impossibles physiquement ou statistiquement on peut éluder en se disant que la personne ment. Quand on le vis au quotidien on a pas cette option. Donc on ferme juste très fort les yeux et essaie d’arrêter.
J’ai finit au bord du suicide, dans une haine de moi incommensurable. Oui j’avais d’autres trucs. Un autisme non-diagnostiqué et des maltraitances psychologiques. Mais c’est pas le genre de truc qui donne des rêves prémonitoires, des accès de voyance fréquents, envie de parler aux pierres et des capacités de magnétisme hors-norme.

À l’hôpital j’ai rencontré d’autres gamin-es comme moi. On s’est entre-aidés. On a compris assez vite que le secret pour s’en sortir c’était d’avoir assez de contrôle sur ses capacités pour savoir les ouvrir et fermer, pour savoir les cacher la plupart du temps et ne les montrer qu’aux bonnes personnes. Que la différence entre être folle et pas folle c’était la capacité à savoir se fondre dans la société, rien de plus. Que les médecins s’en foutaient qu’on croit à la magie tant qu’on baissait la tête et admettait que c’était juste une croyance, une simple lubie inférieur à leur savoir objectif.

Du coup je m’en suis sortie, et j’ai développé mes capacités, difficilement parce qu’en France on a plus de réseau d’enseignement de ces trucs. On a tué puis psychiatrisé trop de générations de magicien-nes. Encore aujourd’hui si j’enseignais à un enfant à contrôler ce qui le rends dingue on me ferait arrêter pour pratique sectaire, peut importe que ce soit juste une méthode pratique sans religion attachée. Peut importe que ça l’aide.

Je m’en suis sortie, j’ai soigné mon esprit, mon corps et ma magie. J’ai de moins en moins caché ce que je faisait ce qui m’a permis de rencontrer des gens plus avancés que moi qui m’ont aidé, et beaucoup d’autres, beaucoup, qui l’étaient moins. Qui débutaient à peine, les yeux collés par des années de tentative d’être normal. Tous et toutes malades de haine de soi, de honte, de peur d’être taré-e. On s’est entre-aidés, encore et encore, et j’en ai tiré la force de m’assumer totalement, de déclarer mon activité. C’était merveilleux.

Et là ma famille a décidé que j’avais plus d’existence sociale. Aux repas de famille et de voisinage mes parents se sont mis à zapper mon nom. À présenter fièrement mes frangin-es et leur parcours et m’oublier. En privée iels me demandaient quand j’arrêterai mes mensonges. Me disaient que je finirais en taule pour ce que je faisais.
Ça aurait été une menace ridicule si c’était pas un vrai risque. On met encore des gens en taule pour sorcellerie. On appelle juste ça une arnaque. Suffit d’un-e patient-e déçue, ou de sa famille. Et si l’accusé a l’air trop convainque de ce qu’iel fait et bien l’hôpital peut prendre le relais. C’est rare mais ça m’a beaucoup fait peur à une période. Jusqu’à ce que ma psy me dise qu’elle me soutiendrai si jamais mes parents tentaient une hospitalisation forcée.

Plus tard, pour d’autres raisons, j’ai coupé les ponts avec ma famille. Mais il reste tout le reste. Pour la société moderne je n’existe pas. Au mieux je suis naïve et sans aucune culture scientifique, au pire je souffre d’hallucinations et délire d’interprétation.
Et chaque semaine le destin me met dans les pattes un nouveau bébé chamane victime de cette société sans magie. Quelqu’un qui a passé sa vie à prétendre être normal et est au bord de la rupture. Quelqu’un qui parfois a déjà rompu, arrive dans mon cabinet comme patient qui n’en peu plus des anti-psychotiques et passe la séance à pleurer pendant que je les rassure qu’iels ne délirent pas, qu’on va apprendre à contrôler ça et que tout ira bien.
Et quand on s’entre-aide : ça marche. J’ai jamais vu un-e apprenti magicien-ne dont la vie ne soit pas bouleversée par l’éveil magique. Chez qui ça ne lance pas tout une suite de changements et guérisons physiques et émotionnels. Qui ne se redécouvre pas des talents et passions enfouies sous des années à tenter de se mutiler l’âme.

Et pendant que je vois ça, je vois des soi disant « scientifiques » qui veulent lancer notre éradication. L’athéisme sera pas la première religion à tenter de nous faire disparaître, c’est une tradition dans quasiment toutes. Mais les autres avaient au moins la décence d’admettre notre existence et d’avoir peur de nous. On rendait nos pratiques illégales parce qu’on les considérait dangereuses. Les croisés de l’athéisme veulent nous condamner pour mensonge. Nous faire admettre notre propre non-existence. La soumission ultime.

Et puis tant qu’à faire réécrire l’histoire, nous faire aussi disparaître au passé. Les Druides? Des herboristes. Les Chamanes? Des psychanalystes. Les Sorcières? Des féministes. Les transes? Des délires psychotiques. Et hop un peu de réinterpretation, un peu de science et de psychiatrisation, et on peut réinterpreter 12000 ans d’histoire pour remplacer les magicien-nes par des malades et des activistes politiques. Et ensuite on peut s’approprier leurs titres, leur histoire, prétendre qu’il y a 500 ans on aurait été la première visée par l’inquisition, tout en perpétuant violemment une oppression qui n’a jamais cessé.

Alors pour conclure : les gens qui portent des tatouage tribaux au moins ne prétendent ni être aborigènes ni que les aborigènes n’existent pas.

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Cet article fait parti d’un triptyque sur le sujet avec Nos anciens alliés et Nous existons encore.

La part d’Ombre

~ Rejeter sa part d’ombre c’est comme avoir peur de l’eau et s’en débarrasser en l’enfermant dans une cocotte minute. Il vaut mieux apprendre à nager. ~

C’est une petite métaphore que j’ai utilisé pendant un soin et que j’aime bien donc je la partage.

C’est important d’apprivoiser son Ombre, pour soi et pour les autres.

Prenons l’exemple de la violence. Une personne qui rejette sa violence ne cesse pas d’avoir une part de violence. Par contre elle cesse d’en avoir conscience, elle cesse de pouvoir choisir consciemment si elle souhaite l’exercer et avec quelle force, elle cesse parfois même de réaliser lorsqu’elle l’exerce, elle cesse de se sentir responsable et propriétaire de sa violence et s’en sent victime voir possédée par elle… Et lorsque la bride est lâchée (fatigue, alcool, émotions fortes) elle se sent dépassée par une extrême violence qu’elle ne sait plus gérer.

Alors qu’en acceptant notre violence elle devient une simple part de nous, une possibilité parmi d’autre, quelque chose qu’on peut choisir d’exercer où non selon les circonstances. On ne ressent plus “au fond de moi je suis violent-e et j’ai honte” mais “j’ai le choix d’être violent-e si et quand je veux et de l’exprimer de la façon qui convient aux circonstances et à mon éthique.”

Évidemment on atteint rarement la perfection. On garde toujours une part d’ombre et on n’arrive rarement à en aimer profondément chaque recoins. Mais la perfection n’est pas le but. Le but c’est d’atteindre un mieux être pour nous et ciels qui nous entourent.

Si ça vous intéresse de creuser je recommande deux livres sur le sujet des ombres/Animus/Anima :

– “Dialectique du Moi et de l’inconscient” de Jung. C’est son seul livre “de vulgarisation”. Il y parle de l’âme et de l’ombre et des enfants et d’inconscient et de milles autres choses. C’est passionnant, profondément spirituel et plutôt court, concis et écrit clairement.

– “Apprivoiser son Ombre” de Jean Monbourquette. Le vocabulaire me parle moins, il est celui d’un prêtre chrétien, mais la philosophie reste la même, Monbourquette a étudié Jung. Et surtout il est plein d’exemples et d’exercices pratiques pour apprendre graduellement à s’aimer tout entier, y compris dans ses facettes les plus sombres et “inacceptables” de son être.

Voilà voilà,

Bonne journée 🙂

​Pourquoi je me dis Chamane et parle de totems.

Cet article est maladroit et je ne souscrit plus vraiment à ce que je disais à l’époque. Mais je ne souhaite pas pour autant l’archiver et le cacher parce que je pense qu’il montre mon évolution sur plusieurs points.
Déjà aujourd’hui je n’ai aucun problème à me dire sorcière. J’ai mis plus de temps à me sentir ancrée dans ce mot et ce concept que dans celui de chamanisme, mais il fait aujourd’hui tout autant partie de ma réalité quotidienne.
Ensuite je réalisais déjà à l’époque que nous devons faire cohabiter sur terre les réalités magiques, sociales et politiques. Et que vu la violence qui empreint tous ces aspects quand il s’agit de magie le sujet est extrêmement délicat et subtile. J’avais à l’époque des fragilités en magie, c’est donc ce côté que j’avais choisi de privilégier au détriment des autres. C’était ce qui m’était à l’époque nécessaire pour guérir des blessures que j’avais subit. Aujourd’hui je peux me permettre de prendre mieux en compte les autres aspects. Par conséquent à présent peut importe ce que je suis, peu importe ma réalité magique, il y a des mots que j’évite d’employer dans un cadre professionnel, du moins pas sans les accompagner d’explications et d’une contextualisation claire. Je ne ressent plus le besoin ni l’envie de les brandir comme une bannière pour protéger ma magie du monde athée qui l’entoure.
14/01/19

Parlons un peu de vocabulaire.

Pour commencer je vais devoir déjà présenter un concept: l’appropriation culturelle. Il s’agit du fait que les européens ayant colonisé et massacré et dominant aujourd’hui partout dans le monde il existe désormais une forte inégalité culturelle. En gros on peut faire du yoga tout en fermant nos frontières aux indien-nes et leur interdisant de porter un Sari au travail. On pioche ce qu’on veut dans les autres cultures tout en les opprimant (et par on je veux bien dire « notre société » pas « chaque individu » donc nul besoin de dire « mais je ne le fais pas »).

Ne pas faire d’appropriation culturelle n’est pas toujours facile (on va pas arrêter le yoga quand ça nous sauve la santé) mais on peut faire des efforts (ne pas appeler Yoga le moindre exercice d’étirements, s’intéresser à l’histoire et la spiritualité derrière le yoga quand on le pratique).

Pourquoi je me dis chamane et pourquoi je parle parfois de Totems?

Beaucoup de monde pense que le chamanisme désigne quelque chose en Amérique, ou en Mongolie, ou en Amazonie… Et que donc on ne peut-être chamane en France qu’en l’ayant appris à l’étranger et ramené les méthodes et traditions culturelles ici. Hors le chamanisme est absolument universel, se retrouve sous différents mots sur tous les continents. Le terme « chamane » est le mot le plus courant en France actuellement pour désigner ce concept. Il vient à la base de Sibérie mais a évolué.

Je suis Chamane, « intermédiaire ou intercesseur entre l’humanité et les esprits de la nature ». Je ne suis pas sorcière, la sorcellerie est dans mon panier à outils mais ce n’est pas celui que je maîtrise le mieux. Si je me disais sorcière parce que c’est un mot français je me montrerai insultante envers les sorcières comme envers les chamanes en niant les spécificités de nos rôles et de nos méthodes.

Je me dis parfois sorcière pour rigoler ou pour simplifier. Ou pour appeler à l’imaginaire collectif de notre pays (comme les chasses aux sorcières). Mais je ne suis en réalité pas plus sorcière qu’un physicien n’est mathématicien. Même si, tout comme un physicien est généralement meilleur en maths que la majorité de la population, je suis meilleure en sorcellerie que la majorité de la population. Je ferai peut-être un article sur la sorcellerie un de ces jours d’ailleurs.

Venons en maintenant au mot qui amène le plus de polémiques: le totem.

Déjà il faut préciser que j’utilise le mot Totem dans sa signification spirituelle, pas dans celle de société totémique (qui d’ailleurs n’ont pas forcément existé, les anthropologue ont peut-être projeté leurs fantasmes, le sujet est controversé… En tous cas leurs structures et fonctionnement semble avoir été beaucoup plus variés qu’on l’imagine).

Un totem est un animal protecteur qui représente une personne ou un groupe de personne. Notre âme peut-être vue sous plein de prismes. Sous un prisme on peut-être humain, sous un autre chat, sous un autre aubépine, sous un autre feu… On a souvent un rapport particulier à cette (ou ces) versions non-humaines de nous. On les aime, elles nous fascinent, on les comprends intuitivement, a confiance en elles… Par exemple une personne-sanglier n’aura aucune peur des sangliers voir les verra comme protecteurs et s’y reconnaîtra sans forcément comprendre pourquoi.

Aujourd’hui le mot totem est utilisé à toutes les sauces. Victime tant du fait qu’on utilise des mots amérindiens un peu partout pour faire joli que de la dé-spiritualisation de notre société. On trouve par exemple dans les magasines des « test pour trouver son animal totem » et je comprends bien que c’est très insultant pour les personnes venant de société où ce concept est encore sacré, d’autant plus que ces personnes sont dépossédées de leur culture et des moyens de pratiquer leur spiritualité… Et du coup on me reproche régulièrement d’utiliser ce mot.

J’entends par exemple que je n’ai qu’à trouver un autre mot. Pourtant en biologie on sait qu’il est extrêmement insultant, violent et colonialiste de débarquer dans un autre pays et renommer à notre sauce les animaux qui s’y trouvent et les concepts qu’on y apprends.

Le mot Totem est le mieux à même de décrire une réalité que je connais et il prouve que des gens ont avant moi défriché et conceptualisé ce terrain compliqué en magie. Ce serait insultant de ma part, après avoir étudié des magies divers, d’en renommer tous les outils que je garde par des mots français ou inventés.

Parfois j’entends aussi « tu ne peux pas avoir de totem tu es française ». Alors là l’insulte n’est pas envers moi !  Parce que ça voudrait dire que le mot Totem ne recouvrirait pas une réalité de l’humain mais un simple jeu de rôle, un amusement qui peux faire du bien psychologiquement si on est de la bonne culture.

Ça c’est réduire des concepts puissants à de simple objets folkloriques, et les chamanes à des reliques sous vitrine, à des gens qui se transmettent bêtement des traditions inutiles en ayant en plus la naïveté d’y croire. Alors qu’un-e chamane ne dirait jamais à une personne d’une autre culture « Ton âme n’est pas pareil, je ne peux rien t’enseigner ».

Par contre iel dirait peut-être « Je ne peux rien t’enseigner parce que ton filtre culturel va tout déformer. Et je n’ai pas confiance dans l’usage que tu ferais de cette connaissance. Et puis vous nous piquez nos terres de toute façon donc tant pis pour ton âme débrouille toi. » De même qu’iel peut refuser d’enseigner l’usage de plantes médicinales. Ça ne veut pas dire qu’elles ne fonctionnent pas si on est pas de la bonne culture, et ce n’est pas un signe de respect de les renommer pour les utiliser.

En résumer: évidemment le chamanisme se pratique ancré dans la terre, donc là où l’on est. Comme je vis en France je trouve plus logique d’utiliser de l’huile d’olive que de la graisse de phoque dans mes rituels. Comme je suis imprégnée d’une certaine culture je vois des maisons d’esprits et non pas des lacs d’esprits. Comme je parle français j’entends les entités parler français (parfois anglais). Comme je vis dans un pays où les pratiques spirituelles sont contrôlées ou détruites depuis des siècles je dois inventer ma façon de pratiquer, je n’ai pas le tissu social et culturel qui entourent (ou entouraient encore récemment) le chamanisme dans d’autres pays.

Si l’histoire avait été différente j’aurai pu connaître un mot d’ici pour désigner la même chose… Actuellement je n’en connais pas. Je fais donc au mieux avec ma situation comme le font tout-e ciels qui tentent de rester connectés à l’autre côté au travers des filtres de notre civilisation. Refuser l’utilisation du mot totem pour décrire la réalité qu’il est le mieux à même de décrire serait insultant pour les gens qui ont défriché ce chemin, nier même que quelqu’un l’a défriché avant moi. C’est là que serait l’appropriation.

Les soins faciles et moins faciles

Il y a eu une période où je pensais naïvement que la difficulté d’une séance venait de la taille du problème.

Je pensais qu’une entité puissante à déloger, une souffrance ancienne et ancrée à dénouer ou encore un traumatisme particulièrement violent à apaiser nécessitaient forcément plus d’énergie de ma part que de calmer des acouphènes ou tirer les cartes.

Et en fait non. Tant que j’ai les épaules pour l’affronter, une entité puissante ne me fatigue pas forcément plus qu’un petit parasite.

Par contre passer une heure à tenter de me connecter à quelqu’un avec qui ça ne passe pas, même si c’est juste pour calmer une douleur dentaire, là c’est épuisant.

C’est encore la question d’être la bonne clef au bon moment. C’est pour ça que quand quelqu’un me demande si je peux les aider je dis souvent « C’est possible, est-ce que vous ressentez l’envie de me rencontrer ? »

Ce n’est pas une question de type ou de force du symptôme, ni même de force de la cause.

La question est dans le lien entre le patient et moi. Est-ce que la personne est réellement prête à recevoir un soin du type que je propose? Est-ce qu’elle est prête à le recevoir de ma part? Est-ce que je suis prête à me connecter à cette personne, à ce moment là, avec le problème qu’elle m’amène?

Et quand je parle d’être prêt à recevoir un soin il ne s’agit pas non plus d’y « croire ». Certaines personnes arrivent blindées de scepticisme, et repartent blindée de scepticisme. Ça n’empêche pas le soin d’agir, et iels me remercient de ma maîtrise de l’effet placebo et de la psychologie.

À l’inverse des gens arrivent avec des croyances parfaitement alignées sur les miennes mais rien ne se débloque.

Parce que « être prêt » ça n’est pas « vouloir guérir » ou « croire à la magie ». C’est être prêt à avoir son image de soi chamboulée, à voir ses peurs et ses hontes en face, à se sentir faible, à se sentir temporairement fortement lié à moi et sous mon influence. Tout ça n’arrive pas forcément dans une séance. Mais ça peut. Et ça demande donc d’être prêt.

Prêt à l’échec aussi. Prêt à découvrir que même si toutes les conditions semblent réunies, même si le soin se passe bien, même si je suis la bonne clefs dans la bonne serrure… En fait la porte ne donne pas là où l’on croyait. Ce qu’on souhaitait guérir ne peux pas l’être. Et le soin devient alors un soin d’acceptation, de deuil, de lâcher prise.

Et avec tout ça je suis surprise de voir qu’une grande partie de mes patients SONT prêts. Et pour les autres, ça les décourage rarement : je peux au moins atténuer les symptômes, leur indiquer d’autres thérapies, leur donner des conseils pour être prêt dans l’avenir…

Bref. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui je me suis préparée à un soin en m’attendant à soulever une montagne. L’entité était puissante, la personne sérieusement blessée, la situation ancienne et ancrée… Et tout s’est passé fluidement et simplement. Tout était prêt, à commencer par moi. Merci donc ❤