Cet article fait suite au précédent sur le stigmate de magicien. Sur le même sujet un ami a écrit Nous existons encore.
J’aimerai parler d’une chose qui m’est particulièrement douloureuse :
le fait que nos compagnons de galère et alliés historiques participent
maintenant à nous faire disparaître. Je veux parler des Minorités de
Genre et d’Orientation, qu’on appelle communément LGBTQ+, et que
j’appellerai MGO pour faire court.
(Lorsque je parle de minorités je parle de minorités par rapport à
une période donnée. Par exemple dans la Rome Antique la sexualité entre
hommes faisait partie de la norme, mais pas celle entre femmes.)
Auparavant nos situations étaient à peut près liées. Généralement les
sociétés qui acceptaient les magicien-nes acceptaient aussi les MGO.
Celles qui persécutaient les magicien-nes persécutaient aussi les
personnes MGO. La plupart du temps la situation était entre les deux :
certains types de magicien-nes acceptés et d’autres réprimés, certains
types d’orientations et genres acceptés et d’autres réprimés.
Et lorsque répression il y avait, les accusations étaient les mêmes.
Lors de l’Inquisition par exemple les deux étaient accusés de détruire
la société et d’avoir acquis leurs habitudes et capacités auprès du
Diable.
De plus, il me semble, d’après mes observations personnelles, que les
personnes MGO sont sur-représentées parmi les magicien-nes et vice
versa. Je suis moi-même dans les deux groupes, même si je parle ici en
tant que magicienne. Bref nous sommes depuis longtemps liés.
Hors depuis la Révolution Industrielle nous vivons de plus en plus
dans un monde athée. Un monde tellement athée que même les religions le
sont devenues. Aujourd’hui la plupart des chrétien-es ne croient plus
qu’en un vague « Dieu » lointain et impalpable qui a affablement regardé
le Big Bang, croient que Jésus était un homme fou mais génial, que
Marie n’était pas vierge et que les anges et démons sont des métaphores.
Et quand iels croient encore sérieusement aux aspects les plus
surnaturels de leur propre religion iels s’abstiennent bien de le dire
en public. Aujourd’hui ce qui maintient la plupart des religions ce sont
avant tout des morales, des croyances sur comment bien vivre pour
mériter un paradis impalpable et compatible avec les lois connues de la
physique.
Dans ce monde sans magie donc, les magicien-nes n’ont plus de place.
Même plus en tant qu’ennemis publiques. On est sensé-es ne pas exister.
Donc lorsque l’on croit l’être on est psychiatrisé-es, sommé-es
d’arrêter de mentir, ou au minimum sanctionné-es socialement. Exister en
se disant clairement magicien-ne, sorcièr-e ou chamane est extrêmement
difficile. La plupart font des formations pour pouvoir se présenter
comme « praticien-ne de Reiki », géobiologiste ou autre et ne parlent
qu’en privé de tout ce qui déborde du cadre qu’iels ont choisi.
Moi-même je m’assume comme chamane. Et pourtant… Il m’arrive souvent
de cacher à quel point je pratique le chamanisme. De mentir,
d’euphémiser, de parler de psychologie, de symbolisme, de système
nerveux et de méditation pour donner un vernis socialement acceptable à
ce que je fais, pour être acceptée comme une personne intelligente et
sensée. Alors que la réalité c’est que les histoires de psychologie et
de système nerveux j’y pense parfois lorsque je ne pratique pas, lorsque
je me demande si un jour la science arrivera à expliquer ce que je
fais. Mais lorsque je pratique je manipule des énergies du creux de mes
mains, je bouge des « muscles dans ma tête » pour « ancrer » des sorts,
je discute avec des entités diverses, je voyage dans d’autres
dimensions… Je ne m’embarrasse pas de questions scientifiques : je fais
ce que je sais faire et j’apprends autant que possible à toujours faire
mieux.
Mais voilà. Même moi aujourd’hui il m’arrive de cacher ma magie et de
lui mettre des masques. C’est dire comme le monde est athée. C’est dire
comme la magie est cachée.
Et donc pour en revenir aux MGO : iels sont au contraire de plus en
plus visibles (et tant mieux !) et luttent pour ne plus être opprimé-es
(ce que je souhaite). Le problème est que ça passe parfois par nous
utiliser, et se faisant par nous faire disparaître d’autant plus.
Aujourd’hui, se rappelant de notre passé commun mais sans plus croire
à notre existence, les MGO athées pensent que c’était iels les
sorcières. Il circule par exemple des idées comme quoi les prêtresses
d’Ishtar (et d’autres) étaient choisies parce qu’elles étaient trans, et
que donc une personne trans athée peut se dire prêtresse d’Ishtar… Mais
non ! Les prêtresses d’Ishtar étaient des magiciennes qui suivaient un
entraînement et des initiations rigoureuses pendant de longues années !
Certaines étaient trans, pas toutes. Pour devenir une vraie prêtresse
(et ne pas rester servante) d’Ishtar il fallait avant tout faire montre
de capacités magiques et de fidélité à la déesse, trans ou pas trans.
Mais c’est un exemple classique d’un phénomène courant. Comme on ne
croit plus à la magie, on cherche ailleurs le point commun des gens qui
de tout temps ont été connus pour la pratiquer. Était-ce une question de
maladie mentale? De liberté sexuelle? D’activisme politique? De MGO? On
élude le fait que, à notre époque comme par le passé, dans les sociétés
qui reconnaissent les magicien-nes on reconnaît aussi l’existence de
toutes ces personnes, sans forcément en faire des magicien-nes.
Les athées MGO comme les autres athées pensent que nous n’avons
jamais existés, que ciels d’entre nous qui se disent magicien-nes
actuellement ne font que jouer la comédie ou ont des problèmes
psychiatriques. Et donc iels se sentent totalement légitimes à utiliser
nos titres, s’approprier notre histoire, modifier notre culture… Je ne
compte plus le nombre de festivals, magazines ou événements queer et/ou
féministes qui contiennent les mots « chamane » ou « sorcière » dans
leur titre. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis emballée
au titre d’un livre avant de déchanter très vite en l’ouvrant.
Pour faire comprendre ce que c’est que de grandir comme jeune
magicienne dans ce contexte je vais faire une métaphore. Imaginons
simplement que la situation soit inversée.
Le lesbianisme c’est quelque chose de très antipatriarcale, de
difficile et courageux à assumer. Mettons que je suis féministe, je fais
des choix antipatriarcaux et difficiles à assumer.
Du coup on va dire que je suis lesbienne. Et puis après tout au fond
les lesbiennes elles font semblant non? C’est pas comme si une femme
pouvait vraiment aimer les femmes. Ça n’existe pas ces choses là. Tout
le monde le sait.
Donc je suis totalement légitime à me dire lesbienne. Et puis je vais
imprimer des tshirt « lesbienne dans la place » pour mes amies et moi,
et faire un festival artistique lesbien où on fera des trucs féministes
et fera un peu semblant de faire des trucs lesbiens pour l’ambiance.
Et puis je vais écrire des livres sur l’histoire du lesbianisme, ce
mouvement social féministe, et puis éditer un magasine avec lesbienne
dans le titre où on interviewra plein de femmes féministes.
On invitera de temps en temps une lesbienne qui prétend être attirée
par les femmes mais on précisera bien que c’est que son opinion
personnelle, que le lesbianisme c’est avant tout métaphorique, et
qu’elle est là en tant que féministe avant tout. Que c’est pas comme si
on croyait vraiment à l’attirance entre femmes, c’est juste pour faire
chier le patriarcat tout ça.
Et puis c’est pas comme si des jeunes filles un peu perdues sur leur
orientation risquaient d’être absolument paumées en fouillant les
bibliothèques et internet à la recherche d’infos sur le lesbianisme et
tombant avant tout sur des trucs qui n’ont rien à voire. Vu que les
lesbiennes ça existe pas, c’est une métaphore, une lutte sociale. En
fait si une jeune fille croit être lesbienne heureusement que y’aura des
vrais infos fiables sur le féminisme et pas des légendes urbaines
d’attirance entre femme dans les bouquins et sur internet. Si elles ont
vraiment envie de se monter la tête avec des histoires de « vrai »
lesbianisme y’a toujours les romans. Et puis si elles sont tellement
paumées qu’elles tombent malade c’est bien la preuve qu’au fond elles
étaient malades, pas attirées par le même sexe.
Voilà.
Si cette métaphore paraît disproportionnée j’aimerai juste vous
demander pourquoi l’attirance sexuelle et romantique serait plus
fondamentalement constitutive de l’identité que la magie. D’après quels
critères on décide qu’un truc qui touche à notre identité personnelle et
sociale et peut mener à des discriminations voir condamnations est
important alors qu’un autre est un détail.
Bref la magie dans notre monde est censée ne pas exister. Ce qu’on
endure est justifié facilement par le fait qu’on a qu’à enlever notre
masque, arrêter de mentir, agir enfin normalement, et on arrêtera de
souffrir.
Et une de mes grandes douleurs est que des personnes qui s’entendent
encore souvent dire la même chose participent à nous effacer. Portent
nos titres et se voient seuls dans notre histoire commune.
On me rétorque souvent que c’est normal, c’est légitime comme
appropriation, car après tout la culture mainstream a lié les femmes
libres à la sorcellerie.
Alors cette excuse est aussi logique que se dire Amérindien-ne et
s’approprier leur génocide parce qu’on s’identifierait au personnage de
Pocahantas de Disney. Nous ne sommes pas des personnages Disney.
Je pense avoir fait le tour de ce que j’avais à dire sur le sujet, en tous cas pour l’instant.
Bonne soirée.